Interview...

... par Élisabeth Robert, écrivain

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ÉLISABETH ROBERT : François Martini, alias Fulmi sur le net, est un homme en marge, enfin je trouve ! A la fois très intelligent et très incisif il se moque de se faire des ennemis là où il passe! C'est bien cela qui peut séduire...Ou déplaire!:)
Si l'on passe sur son site voilà le message d'accueil:
"Ancien architecte, passé par le service technique de l'ANPE Île-de-France, passionné par l'écriture et l'édition, je présente ici mes livres :
Chantiers de papier et Je suis un héros / Les Chinois en Amérique.
Mon petit dernier s'appelle Le Temps. Il n'est pas à vendre, j'espère le placer chez un vrai éditeur, mais on ne risque rien à m'envoyer un mail.

FRANÇOIS MARTINI : Pour être bien référencé sur Google, un site doit, paraît-il, entre autres astuces, contenir, sur sa page intitulée "index.html", un texte en haut de page, dans le style "h6" ("en-tête de taille 1"), contenant des mots qui seront considérés par Google comme caractéristiques du site, et serviront à le référencer. C'est ce qu'on m'a dit lors d'un stage sur la conception des sites web. C'est la raison d'être de ce pavé indigeste dont je me serais bien passé. Il est aussi possible que je me gourre complètement et que ce texte ne serve à rien, mais l'important, c'est d'y croire !

É.R : Donc première question : Tu es prêt à abandonner la fabrication artisanale si un éditeur prend enfin le temps de te découvrir et te demande de publier l'un de tes manuscrits?

F.M. : Non seulement je désirerais être publié à compte d'éditeur un jour, mais, en plus, fabriquer des livres à la main commence à m'agacer sérieusement. C'est un travail méticuleux, lent, très monotone et je compte bien arrêter prochainement ! Je passerai, j'espère, l'an prochain, au service d'imprimerie par paquets de cent.
Ceci dit, c'est une expérience qui vaut d'être vécue. J'ai un rapport particulier avec ces livres que j'ai assemblés à la main que je n'aurais pas avec d'autres (je l'ai vérifié car, pour aller plus vite, au début, j'ai fait faire une vingtaine d'exemplaires du premier par un service de photocopies universitaires, les livres avaient presque exactement la même allure, mais je voyais bien que ce n'étaient pas vraiment les miens, ils n'avaient pas les petits défauts de ceux que j'assemble moi-même).

Fabriquer moi-même était assez facile tant que j'avais un livre, puis deux. Maintenant que j'en ai quatre (j'ai dissocié Je suis un héros des Chinois en Amérique), cela commence à devenir ingérable. Je me trompe dans le nombre de couvertures à imprimer, je ne sais plus où j'en suis des réimpressions, bref l'amateurisme me submerge.
Et puis, tout de même, un vrai livre, c'est un livre dont l'édition a été décidée par l'éditeur. C'est incontournable. Et cet éditeur doit en être un vrai, capable d'en vendre plusieurs milliers et de verser des royalties, sinon, on reste dans la micro-édition.
Je n'ai rien contre la micro-édition, qui fait de très belles choses, mais ce n'est pas un processus abouti. Pour qu'il y ait aboutissement, il faut qu'il y ait vente en quantité suffisante pour rapporter de l'argent à l'auteur, donc que l'on passe de l'artisanat à l'industrie. Cela implique que l'auteur soit capable d'écrire et de formater un livre selon les normes de l'industrie, sinon on reste un facteur Cheval qui sait bâtir un « Palais idéal » qui n'en est pas un puisqu'il est inhabitable.
Donc je désire continuer à apprendre à écrire pour ne plus fabriquer mes livres moi-même.

É.R. : Si on observe rapidement le site de François Martini, on se rend compte qu'il n'est pas friand de mise en page tape à l'oeil mais néanmoins il s'applique à réaliser lui-même chaque exemplaire de ses livres!
D'où mon interrogation : Fulmi, c'est pas trop galère de coller chaque page?

F.M. : De fait, non. C'est l'impression recto-verso qui est galère avec ma vieille imprimante Apple, et celle des couvertures. Bref, le problème, c'est les imprimantes, l'informatique, donc, les techniques récentes. Le reste va tout seul. On ne colle pas les pages une par une, mais quatre à six livres par quatre à six livres à la fois. En achetant quelque équipement assez simple dans un magasin de bricolage, je pourrais en assembler plus à la fois, mais je n'en ai pas besoin car je produis facilement plus que je ne distribue, ce qui est une autre question.

Tout de même, ce système m'a permis de voir mes manuscrits prendre l'aspect de vrais livres, au bon format. C'est important car un manuscrit n'est jamais fini tant qu'il n'est pas devenu livre. On peut toujours le modifier, tandis que lorsqu'il a pris un numéro d'ISBN et qu'il est à la BNF, c'est une autre histoire ! Il a une personnalité qu'il n'avait pas avant.

É.R. : Effectivement voir le manuscrit devenir livre avec un format concret cela donne une autre dimension au travail accompli.

F.M. : Oui et je songe sérieusement à écrire directement dans le format du livre, ce qui ne doit pas être très compliqué avec un traitement de texte. Je suis sûr qu'on n'a pas la même approche du texte en train de s'écrire. Effectivement, je viens d'essayer (il faut mettre son format de page en "paysage", à l'italienne, donc, réserver trois centimètres à gauche et poser la fin de ligne à 12). Écrire sur une petite page de livre ne provoque pas du tout le même effet qu'écrire sur de l'A4 avec des marges riquiquies.

É.R. : Plus sérieusement tu te décris comme un architecte raté qui préfère écrire que construire... c'est un comble ça?

F.M. : Cela ne s'est pas fait en même temps. Beaucoup d'architectes vivent d'autre chose que de l'architecture.

É.R. : Habituellement on dit souvent que ce sont les écrivains qui vivent d'autre chose!

F.M. : Je veux dire que beaucoup d'architectes n'exercent pas leur métier. On n'est pas architecte amateur comme on peut être écrivain amateur.

É.R. : Ce sont les difficultés rencontrées dans ce métier qui t'ont amené à écrire ton premier livre: Chantiers de papiers ?

F.M. : Je dis que je suis un architecte raté parce que j'ai renoncé à la carrière très vite, peu après mon diplôme. C'est évidemment l'aveu d'un regret, mais le métier était trop difficile pour moi. Chantiers de papiers raconte mon insertion dans le service public une insertion dramatique mais, finalement, réussie. C'est évidemment un livre-exutoire.

É.R. : Et depuis tu n'as jamais tenté de redevenir un architecte?

F.M. : Non. En plus c'est un métier de technicien, ce qui signifie que pendant que le temps passe, la technique évolue et après quelques années, on n'est plus dans le coup.

É.R. : Tu as toujours eu ce venin du stylo ou bien est-ce venu à toi comme une illumination ?

F.M. : Je n'ai écrit de la fiction que pour Chantiers, à plus de quarante ans. Auparavant, je n'avais écrit que des textes pour l'architecture, soit pour mon diplôme, soit pour le travail en agence, mais j'ai depuis longtemps ce regard sévère sur le monde.

É.R. : Et tu sais pourquoi tu es si dur ?

F.M. : Le monde est dur. Mais je ne sais pas vraiment pourquoi je le suis, je ne n'ai pas été psychanalysé. J'aime Houellebecq, Flaubert, Céline, qui ne sont pas tendres non plus.

É.R. : Tu es sorti du circuit de l'édition assez rapidement. Tu n'y croyais plus ? Tu sembles assez paradoxal, tu prônes l'auto-édition mais ce message d'accueil sur ton site laisse à penser que tu espères encore un petit peu que tu seras un jour publié en mode classique ?

F.M. : Je ne suis pas sorti de l'édition : je n'y suis jamais entré. Elle n'a jusqu'à présent pas voulu de moi. Elle a sans doute raison, je doute que mes premiers livres soient assez professionnels pour les grandes maisons. Je suis un amateur, un dilettante, je manque de métier. L'écriture s'apprend lentement, manuscrit après manuscrit. C'est un métier. On refuse la plupart du temps de considérer les choses sous cet angle. Il faut, pour voir son manuscrit publié, acquérir une technique et une méthode. Cela s'enseigne chez les Anglais et les Américains, pas chez nous. Il faut donc à chaque fois redécouvrir le fil à couper le beurre.
Je ne prône pas l'auto-édition mais, à qui est prêt à dépenser quelques milliers d'euros en compte d'auteur, je dis de considérer l'auto-édition, moins chère et la plupart du temps tout aussi efficace. On vend très facilement ses propres livres, bien plus facilement si on réceptionne les chèques soi-même et qu'on les envoie dédicacés que si on indique au public d'aller commander ici ou là par un moyen ou un autre. Évidemment elle demande plus de travail. Le problème, c'est une banalité de le dire, c'est que tout le monde veut avoir écrit un livre, mais peu veulent vraiment l'écrire, c'est-à-dire : le corriger et le réécrire. Or pour avoir écrit un livre, il faut l'écrire d'abord. C'est long car, sorti du petit cercle des intimes et des amis, le public - qui paye - est sans pitié et, souvent, il a lu les grands auteurs. Il faut donc lui proposer un texte maîtrisé et fini.

É.R. : Tu parles souvent de ces formations à l'écriture, mais alors pourquoi ne pas essayer de suivre cet enseignement pour pouvoir entrer dans le circuit fermé de l'édition à compte d'éditeur ?

F.M. : J'ai mis longtemps à les découvrir. C'est un secret bien gardé. La première fois que je les ai vues mentionnées, c'était dans le manuel Écrire, de Jean Guenot, lequel est, en soi, déjà, en partie, un manuel d'écriture. Écrire n'est pas, en soi, très difficile ; ce qui l'est, c'est d'écrire un roman, un long texte de fiction, qui captive le lecteur. C'est cela qui demande de la technique. C'est parce que cette technique, appelée Creative Writing est enseignée normalement à l'université, aux États-Unis, que les Américains produisent des séries télé, des best-sellers et des films qui ont du succès dans le monde entier, en plus des raisons de pure publicité. Jusqu'à présent, j'ai réussi à atteindre un certain niveau de qualité narrative, en tâtonnant, avec l'aide de quelques manuels, mais je crois bien que je vais essayer l'année prochaine un cours de Creative Writing par correspondance (tous sont situés en Amérique du Nord, dont certains habitants, c'est une chance, parlent français. On peut donc trouver des cours de Creative Writing au Québec). Il ne faut pas se leurrer, les auteurs qui ont du succès, que nous aimons, ont étudié ces techniques. Parfois, elles sont très visibles, comme chez Marc Levy, souvent elles sont masquées par la manière européenne, parce qu'elles ne nous correspondent pas exactement. Lorsqu'on est un auteur amateur de cinquante ans, on a intérêt, si l'on désire parvenir dans un futur raisonnablement proche à produire un bon roman, il y a intérêt à ne pas pinailler sur les principes et à apprendre le métier chez ceux qui le connaissent.

É.R. : Peux-tu expliquer le mode de fabrication d'un livre afin que tout le monde se rende compte que c'est faisable? Les étapes, le N°ISBN...

F.M. : Il faut donner à son manuscrit une forme aussi professionnelle que possible : écrire en bon français, ôter tout ce qui est inutile, respecter la langue, même si on la violente, adopter la typographie officielle, mettre en page en imitant un autre livre qu'on trouve bien fait (j'ai pris modèle, en toute simplicité, dans les livres anciens, en adoptant, c'est mon petit luxe, des marges généreuses). L'astuce consiste à imprimer les pages en double, côte-à-côte, recto-verso. Alors on les coupe et on obtient deux livres qu'il faut relier.

Jusqu'à ce stade de la réalisation il fallait beaucoup de rigueur dans l'utilisation de l'informatique, à partir de là, il faut un minimum d'adresse manuelle.

Pour être encollés, les dos doivent être serrés entre deux planchettes tenues par des serre-joints. Les miens permettent de coller huit Chantiers à la fois, ou plus si le livre est moins épais. Les dos doivent être sciés sur une épaisseur d'un à deux millimètres pour que les pages se tiennent bien. Le sciage se fait à la scie à métaux. Ensuite, on encolle au pinceau, à la colle à relier, six à douze épaisseurs (cela dure deux jours). Après avoir composé et imprimé les couvertures (sur du papier fort qu'il faut avoir au préalable coupé à la bonne dimension), on les colle et on remet tout cela à sécher. Enfin, on plastifie avec un film plastique autocollant fait pour ça qu'on trouve en papeterie.
Si l'on veut des livres qui ont un look plus industriel (professionnel), on peut porter les exemplaires à massicoter dans une imprimerie. Je ne le fais pas.
Il y a un peu de gâchis, au début et il faut s'entraîner sur du papier non imprimé, cela fait quelques carnets utiles à l'écrivain, ensuite.
La boîte d'informatique qui saura vendre un ensemble complet d'imprimerie personnelle gagnera des sous. Toutes les techniques sont au point, il ne reste qu'à concevoir et réaliser la machine.

Les formalités administratives sont très simples et gratuites : obtenir l'ISBN est un échange de courrier avec l'AFNIL, le dépôt légal à la BNF est aussi une formalité. On trouve tous les renseignements sur les sites web de ces organismes. Je ne mets pas de code-barres sur mes livres : je n'en ai pas besoin, mais on trouve des logiciels de codes-barres sur le web si on en désire un.
Ensuite, si l'on vend, il faut tenir ses comptes, se déclarer à l'AGESSA et au fisc, mais on ne paie pas si on ne gagne rien, ce qui est assez courant.

 

É.R. : Lorsque l'on découvre des critiques sur tes livres on se rend compte que tu as des adeptes qui pensent que ta rage et ton vocabulaire parfois "vulgaire" sont ta force mais aussi des réticents qui te trouvent arrogant jusque dans tes écrits.
-Penses-tu qu'ils confondent le personnage que tu joues sur le net avec l'écrivain? Ou bien peut-être es-tu réellement comme cela dans la vie?

F.M. : Pas que pour moi. Les critiques sur le net, comme dans la presse, sont contingentes des relations d'amitié, d'inimité, des clans, des coteries, des intérêts des uns et des autres, des renvois d'ascenseur, des "flame wars" et des associations destinées à se faire connaître. Il circule, sous l'internet, par messages privés, des commentaires très différents de ceux qu'on lit dans les pages publiques. C'est pareil dans la presse. Tout le monde ment tout le temps. Il y a du pognon à la clé, donc le système est pourri, c'est normal. Et lorsqu'il n'y a pas d'argent en vue, il y a du prestige, de la réputation. On peut, en intervenant sur le net, si l'on a un livre publié, même mal publié, obtenir une réputation flatteuse. À l'opéra, on payait la claque pour applaudir ou pour huer. L'opéra n'est plus le domaine du déchaînement des passions, l'écriture amateur l'est, aujourd'hui. On le voit à la multiplication des sites d'écriture, sur lesquels on se corrige réciproquement et on se congratule. Personne n'ose jamais dire ouvertement à l'autre qu'il s'est ennuyé à la lecture de son livre, ou qu'il a ri des maladresses, ou des fautes. Cela déclenche des guerres pichrocholines basées sur des haines de bandits corses. On se met à trouver génial le livre d'un autre dont on sait qu'il ne vaut rien, ou atroce le roman de celui dont on veut se faire un ennemi. Les livres des autres deviennent systématiquement ce qu'on pense des autres. On rassemble des auteurs vaniteux en une coterie visant à se donner une posture avantageuse. Avec un peu de chance, on devient chef de clan. Et c'est la gloire. Tout ça pour des tirages de cent exemplaires.

On devine vite, dans une note de lecture ou une critique, si l'argumentation est solide ou passionnelle. Je peux très bien critiquer moi-même mes écrits, j'ai assez lu dans ma vie pour pouvoir comparer. Je sais que Chantiers est ennuyeux jusqu'à la page cent, ce qui correspond à l'écriture de la première année, qu'il est trop bavard, qu'il manque d'action, etc. Je sais que Les Chinois en Amérique, écrit comme un feuilleton sur le net, sans plan précis, part dans tous les sens. Mais je sais aussi ce qu'on trouve d'intéressant des ces romans, le témoignage dans Chantiers, des expérimentations d'écriture dans Les Chinois. Des lecteurs me les ont signalés. D'autres n'ont rien vu. Comme je ne tiens pas particulièrement à vendre, je peux même me permettre de dénigrer mes livres. En fait, la seule chose vraiment arrogante que j'aie écrite, c'est Je suis un héros. J'y fais exploser toutes les conventions narratives avec une audace folle pour ma courte expérience et une arrogance certaine. Comme, en plus, cette longue nouvelle est très en dessous de la ceinture, elle agace parfois.
Pour l'instant, et pour les huit à dix prochaines années, j'expérimente l'écriture. J'apprends à écrire. Je me hasarde dans des voies incertaines. Les textes qui en résultent ont donc, forcément, des défauts criants, que j'ai repérés, ou que je soupçonne (ou que, parfois, on me signale alors que je n'avais rien vu). Mais je sais aussi qu'ils sont construits de façon à prendre le lecteur au début d'une histoire et à le mener à la fin, la seule chose que je lui demande, c'est de l'attention. J'espère arriver bientôt à écrire des "page turners", ce genre de roman qui ne laisse pas au lecteur le loisir de penser à autre chose que lire la page suivante, mais je n'y suis pas encore.
Après, il y a la question du goût des lecteurs. Chantiers parle de l'Administration, ce peut être ennuyeux. Je suis un héros et Les Chinois sont farcis de scènes de Q : on peut ne pas aimer. Le Temps joue sur les paradoxes habituels de la science-fiction. On peut ne pas accrocher.
On peut aussi trouver mon style insuffisamment littéraire. L'architecture est une technique de composition des bâtiments et non un élément de la culture écrite. J'essaie d'écrire simple et presque droit, en grandes courbes, comme les lignes de chemin de fer, en donnant à mon texte une certaine souplesse : je désire que le lecteur ne se heurte pas aux mots et que cela glisse tout seul. C'est un objectif suffisant, pour l'instant, du point de vue stylistique.

É.R. : Lorsque l'on fabrique soi-même ses livres cela doit être assez jouissif de se dire que l'on a été au bout de la chaîne?

F.M. : Oui, indéniablement. Lorsqu'on l'a fait, on sait comment un livre est fabriqué. C'est gratifiant. On porte un regard critique sur les livres-objets des autres : taille des caractères inadaptée, marges trop petites, typographie déficiente, etc. Pour les miens, je tente de respecter les règles les plus classiques, et celles de l'art, autant que je peux, compte tenu du matériel peu perfectionné dont je dispose. Il le faut, d'ailleurs, sinon la BNF me refuserait le dépôt légal : elle n'aime pas l'artisanat.

É.R. : Comment réussis-tu à vendre par la suite tes exemplaires?

F.M. : Je ne le réussis pas. Je ne vends pas. Même être lu m'intéresse de moins en moins. À quoi bon vendre ? En fait, je réalise un rêve tout simple, qui est celui de beaucoup de gens : avoir écrit un livre (et, désormais, plusieurs). Je peux dire : je suis écrivain. Si les gens sont sceptiques, je leur propose d'acheter l'un de mes livres. S'ils me croient sur parole, cela me suffit. J'ai le prestige de l'écrivain. Je suis un véritable écrivain, puisque mes livres sont à la Bibliothèque nationale, on les trouve dans le catalogue. Il me reste le stade suivant à atteindre : être édité par un éditeur ayant pignon sur rue, qui vendra mes livres. C'est un projet d'avenir.
Et puis si je vends, je devrai fabriquer d'autres livres cela prend du temps ! En plus, je suis paresseux.

É.R. : Je demande aussi souvent cela aux auteurs car chacun écrit avec sa propre méthode... Comment écris-tu? Tu commences par un plan, une fiche pour chaque personnage? Tu connais la fin à laquelle tu veux aboutir? Ou bien au contraire tu plonges dans l'inconnu?

F.M. : J'essaie les différentes méthodes. Je suis assez impatient, d'ailleurs, et, du coup, je fais de plus en plus court. Pour Chantiers, j'avais une idée générale. Comme c'était mon premier essai, je me suis tenu à une stricte chronologie. C'est un récit plus qu'un roman. On y trouve quelques effets de style, notamment un peu, maladroitement, céliniens car j'ai lu Le Voyage en écrivant Chantiers. Ensuite j'ai feuilletonné sur un forum du net. Je suis un héros et Les Chinois sont complètement improvisés, jour après jour, avec lecture immédiate sur le forum. L'enjeu était, pour cette écriture, de passer outre les règles habituelles du roman. On y trouve donc différentes techniques narratives, en vrac, au hasard de l'inspiration. Entre la lecture immédiate en forum et la réalisation du livre, ces feuilletons ont été « vingt fois, sur le métier »... C'est d'ailleurs extrêmement barbant, ce stade de l'écriture. Je comprends que beaucoup d'auteurs amateurs livrent au public des romans insuffisamment relus. L'avantage d'être célèbre, c'est qu'on sous-traite la réécriture (encore qu'il paraît qu'Alexandre Dumas faisait le contraire : Maquet pondait le premier jet et Dumas réécrivait). J'ai hâte d'y être.
Le Temps a été écrit à partir d'un résumé et d'un découpage précis des chapitres. Malgré cela, je n'ai pas résisté à l'envie de violer les règles et j'ai une phrase qui passe, par dessus une autre, d'un chapitre à l'autre. Je viens d'écrire deux courts romans sans savoir du tout où j'allais, mais je ne suis pas sûr qu'ils soient bons. L'un est un roman pornographique, c'était l'idée de départ, pour le plaisir de me dire capable de l'avoir fait. Il est en attente de relecture critique et je tremble un peu que cela soit horriblement mauvais ! S'il s'avère bon, il sera assez original. L'autre est une parodie grotesque de roman policier (je ne suis pas amateur de ce genre alors je me demande bien à quoi ressemble mon ébauche !). Je l'ai écrit en deux semaines, sans aucun plan. Je ne savais jamais ce qui se passerait deux pages plus loin. J'ai piqué cette idée à Anna Galore (mais pas le style du roman). Maintenant, je vais écrire le premier jet d'un roman entièrement planifié, pas par moi, en plus. On m'a fait cadeau du résumé et du découpage en chapitres. Mais j'ai transposé le lieu du récit, de Paris à New-York, pour respecter l'une des règles classique du best-seller : il se passe aux États-Unis et puis pour pouvoir me décaler par rapport au schéma original, je trouve que cela rend l'écriture plus facile. Sait-on jamais, son argument est celui d'un best-seller sur le modèle du premier Marc Levy, mais l'idée directrice est très originale et intéressante.
Les deux précédents attendent donc d'être retravaillés dans quelques temps. Ce sont, évidemment, des petites choses faciles, mais je manque de temps.

É.R. : Et sinon question fun : t'es un homme heureux dans la vie? il te reste encore des rêves à accomplir?

F.M. : Pas trop heureux. Je suis sédentaire et ce que j'aime le plus, c'est voyager. De ce point de vue, je peux dire que j'ai tout faux. Mon vrai grand rêve est de faire trois ou quatre fois le tour du monde, en trois ou quatre ans. Tiens, je vais écrire un tour du monde imaginaire Après tout, Si Jules Verne l'a fait, je le peux aussi !

 
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