Deux pastiches

pour un atelier d'écriture du net.

 

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Chapitre récemment retrouvé de La saga de Harald l'Impitoyable (Snorri Sturluson, Islande, XIIIe siècle). Traduit de l'islandais.
(La saga se trouve chez Payot, ou dans le recueil de Sagas Islandaises, Gallimard, Pléiade).

 

Le roi Harald arriva au lieu-dit de la Gare du Nord par le Long Serpent Rapide que les habitants de ce pays avaient établi en direction du Noroît au mépris des marées et des courants, préférant passer dessous la mer plutôt qu'au dessus. Ayant résolu de se montrer magnanime, il avisa ses hommes que trucider aussitôt les employés du chemin de fer attirerait inutilement l'attention. Pour tenir ses hommes tranquilles il leur attribua à chacun une bonne quantité d'eau de vie qu'on nomme par ici cognac et qui se vend au free-shop du terminal anglais. Il accorda à ses meilleurs sujets que les employés pouvaient être passés au fil de l'épée et les femmes violées, et qu'ainsi la suite royale économiserait sur les précieux euros dont la quantité était encore limitée. Le roi Harald n'accordant aucune valeur aux écus de papier n'avait pu obtenir autant de ces belles pièces de laiton qu'il affectionnait.

Ils allèrent jusqu'au sud du fleuve qu'on nomme la Seine qu'ils longèrent en direction de la mer jusqu'à ce que la tour de fer leur apparut. La queue des touristes au guichet était alors fort importante. Voici ce que le scalde Stuf relate de l'évènement :

Les touristes en grande panique
Prirent leurs jambes à leur cou
Harald et ses preux sans faiblir
Les trucidèrent à-peu-près tous.

La voie des escaliers étant libérée, Harald et ses hommes se mirent en quête de hauteur et parvirent à grand renfort d'eau de vie et de queues de morues séchées à accoster le premier étage. Là la vaillante troupe prit le restaurant Jules Verne d'assaut et balança clients et serviteurs par dessus le parapet. Un des poètes de la cour composa ce chant de gloire :

La tour Eiffel fut entièrement ravagée
Harald et ses hommes soudain enragés
En firent un tas de ferraille incendiée
ils vengèrent leur honneur outragé
Et la haute tour auparavant érigée
Qu'ils ne pouvaient le supporter
Fut ainsi du paysage supprimée.

 

Les bateaux danois remontèrent l'estuaire, apportèrent des victuailles que les valeureux enfournèrent vaillamment. Puis après cet heureux moment, à l'Élysée Harald et ses preux se rendirent et au Président Chirac ils présentèrent leurs compliments. L'Irak, dirent-ils, devait leur revenir. Chirac le Bavard refusant, ils le passèrent par l'épée immédiatement.

Les hommes du Nord reprirent la route de leurs campements suivis par les balayeurs de la municipalité. La France garda longtemps le souvenir de l'événement.

     
     
    Voici une page inédite de Plateforme, le dernier best-seller de Michel Houellebecq,
    que j'aime particulièrement pour sa folle gaîté. (Plateforme se vend chez Flammarion).

 

    Nous allâmes dîner à la pizzeria. Valérie avait mis sa culotte à pois violets, un jean et un t-shirt. Je le sais, je l'ai vue mettre. Les culottes à pois violets ont toujours eu chez moi le même effet que les spaghettis. Savoir qu'elle portait cette culotte-là me donna de l'appétit. J'aime Valérie pour cette faculté qu'elle a de me donner de l'appétit en portant sa culotte à pois violets. Les spaghettis étaient trop cuits comme il arrive souvent lorsqu'on en mange hors d'Italie. Mais, là, à des milliers de kilomètres de l'Europe et de sa décadence, les spaghettis trop cuits me rappelaient le sexe de Valérie, je ne sais pourquoi. Sans doute ce fourmillement obscène de la pâte formatée en minces tubes calibrés avec précision.

    Valérie ne disait rien. Elle savait que je songeais à sa culotte à pois violets et aussi qu'elle approchait de la trentaine avec une régularité qui la tétanisait. « C'est dégueulasse », dit-elle à propos de son carpaccio trop gras; je ne comprends pas l'intérêt qu'elle porte au carpaccio mais chacun est libre de ses choix. C'est le grand acquis de la libération sexuelle dont nous sommes les héritiers. J'arrosais mes pâtes de ketchup pour leur donner un peu de goût. C'était les vacances, tout de même, et je pouvais bien me laisser aller à quelques excès diététiques. J'allumai une cigarette. Le goût du tabac combat efficacement celui du ketchup. Je songeai à la serveuse. Il me semblait l'avoir vu dans le club échangiste près de la plage mais je n'en étais pas sûr. Toutes les filles d'ici fréquentent les clubs. Les touristes allemands viennent en charter pour consommer cette chair pas trop fraîche.

    - À quoi penses-tu, demanda Valérie ?
    - À rien.

    Je ne savais pas quoi répondre. Comment lui dire à quel point elle était indispensable et combien je tenais à elle ? Sa polenta était arrivée. Elle la consommait avec componction. Rien dans son attitude ne laissait transparaître quelle amante elle était. Je songeais à sa culotte à pois violets et soudain je sentis que je bandais, un peu, comme cela m'arrive parfois, sans raison. Les spaghettis étaient maintenant froids mais cela m'était égal. Valérie retournerait bientôt en France où son emploi la réclamait et je savais que je risquais de la perdre. Les spaghettis commençaient à adhérer au fond de l'assiette, à cause de la mauvaise qualité du ketchup thaïlandais. Je réussis à faire tenir une colonne de pâtes collées debout, ma fourchette plantée au milieu. C'était phallique. Rien n'échappe à la psychanalyse. La bière avait réchauffé. Je dis à Valérie :
    - Allons baiser, j'ai envie.

 
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Je suis un héros / Les Chinois