Je suis un héros

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Les Chinois en Amérique, extraits

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Je suis un héros
Fantaisie que j'ai honte d'avoir écrite.

 

Voilà, j'ai décidé d'être un héros, un vrai héros, qui n'a peur de
rien, alors, depuis ce midi, je suis un vrai héros, qui n'a peur de
rien, de plus rien, et je le prouve sur-le-champ : " Madame Michu, ma
voisine... votre chien m'emmerde. " Je lui saute dessus et lui tords
le cou, au chien, pas à madame Michu, qui se perd en sirènes
hurlantes : " Au secours, au secours ! " et tous les gens de la rue
apparaissent au balcon : " Il a tué le chien de madame Michu, il a
tué le chien de madame Michu, c'est fantastique, c'est le héros de la
rue ! ". Madame Michu s'en va porter son chien à la boîte à ordures.
Et puis elle file s'en racheter un.

Plus question d'aller au bureau, du coup, car la rue s'organise. " Ce
sera la fête, aujourd'hui ", et le fier monsieur Marchand me passe
son téléphone portable : " Appelez votre patron, jeune homme, et
expliquez-lui ! Le docteur Alfred vous fera un arrêt-maladie, vous
serez en règle. " Et sitôt dit, sitôt fait ! Ne suis-je pas un héros
? Me voici dispensé de travail. C'est vraiment bath d'être un héros.
Deux de mes voisines, que je n'ai jamais osé aborder, les soeurs
Belhacem, qui ont de belles cuisses, m'accaparent aussitôt : " Viens
donc, Siegfried, viens donc, ne crains rien (je ne crains plus rien,
je suis un héros), tu ne dois pas voir les préparatifs, viens avec
nous, tu seras notre héros. " Ah, mes amis, quelle ivresse ! C'est un
vrai paradis oriental que leur demeure ! Me voici allongé et presque
nu. Elles m'enduisent d'huile d'avocat et je ressemble à un hors-
d'oeuvre. Puis elles m'aspergent d'eau de roses et je me prends pour
une bite en fleurs. La tête me tourne et, déjà, l'une d'elles est
assise sur moi et s'empale sans plus de façons. On se croirait dans
une bande dessinée. Et, là, mes amis, j'ai joui, j'ai joui, comme un
héros ! Dix fois, vingt fois ; et elle aussi ! Je vois ses seins
blancs tressauter furieusement (ça craint un peu, le cliché, mais
c'est vachement vrai). Ah, mes amis, quelle belle journée ! Elles
jouissent de moi et de ma bandaison d'acier. Pine d'ours qu'on me
nomme, que je dis, car je suis un héros désormais.

Toute la rue est là pour m'accueillir la partouze finie et c'est
banquet. On boit à ma santé ! Oué ! Pauvre chien de madame Michu !
S'il savait !

À quatre heures, ça allait bien, toutes ces histoires de banquet. Ma
réputation de héros risquait d'en prendre un coup. Imaginez, un héros
qui se la coule douce ? Je songe à mes futurs exploits et hauts faits
glorieux ; et sans plus attendre car ma vie de héros vient juste de
commencer. Le docteur Alfred a signé mon arrêt. Je suis malade au
bureau et héros dans la vie. Je confie le papier à Zaïde et, pendant
qu'elle file à la poste, je lutine un peu sa soeur, la mutine Alzira.
Mais même les héros sont un jour lassés. Je n'en puis plus, n'ai plus
envie, et la pauvrette non plus. L'entre-jambes lui brûle et puis le
con aussi. Elle s'endort.

Que font les héros dans ces cas-là ? Ils partent. Où ? Mais, vers de
nouvelles aventures, bien sûr ! Au coin de la rue, j'aide une vieille
dame à traverser. Qui peut le plus peut le moins et je veux être un
héros modeste.
- Modeste ? Mon cul ! (Ça, c'est une lectrice qui le dit).
Plus loin j'arrête l'autobus d'un signe de la main.
- Normal, t'es un héros, mon gars ! Plus fort que Superman, t'arrêtes
un bus d'une main (c'est encore elle. Mais ça, c'est vrai, ce qu'elle
dit).

Il me conduit au centre de Paris. C'est que, justement, là, on a
besoin de moi. La fille du banquier Goldbite vient d'être enlevée.
Qu'à cela ne tienne, rétorqué-je ; qu'on me donne un objet lui
appartenant et je la retrouverai ! Et c'est muni de la culotte
qu'elle a oublié d'enfiler ce matin que je pars à sa recherche.

Cela ne traîne pas. La culotte a du succès et tout le monde la
reconnaît. " La fille est partie par ici, la fille a filé par là ! "
Et je suis la piste qui me mène dans les sous-sols de la tour Eiffel.
Là, je la retrouve attachée aux quatre coins d'un vérin hydraulique.
La pauvrette est toute mouillée et sa robe légère souligne chaque
rotondité de sa personne. Qu'elle est jolie !

- Ah ! mon sauveur, prends-moi ici !
Et je la nique sans autre forme de procès ; car je suis un héros.
Mais il faut bien me dépêcher car les bandits vont revenir. C'est à
regret que je lui tends sa culotte.
- Corinne (car elle s'appelle Corinne), remets-la, je te prie.
Mais elle ne veut pas.
- Pour toi, mon héros, je serai toujours cul nu.
Allons bon. Et nous voilà partis, Corinne sur mon épaule, les fesses
à l'air, et lorsque je traverse l'esplanade en cet équipage, les
touristes admirent le joli con de la minette.

Je la rends à son père qui se morfondait dans son grand bureau. Je
pris d'assaut l'escalier d'honneur, si hardi que les vigiles ne
purent esquisser un geste et lorsque je fus passé, ils virent bien que
mon chargement était la fille du patron. Je la posai sur un bout de
la longue table de conférence de son papa et la poussai fermement
vers l'autre bout, là où se tenait son banquier de père. Elle glissa
sans bruit laissant une traînée de bave humide. Vous ai-je dit que
c'était une baiseuse hors pair ? Je donnai la culotte à son père et
m'aperçus que je m'exprimais depuis trois minutes au passé simple. Un
effet du grand bureau, sans doute.

- Mon ami, dit le papa, vous êtes un héros, mais pour que votre
action soit complète, il faudrait retrouver les ravisseurs.
- Rien de plus simple, gardez votre fille au frais, je cours à leur
rencontre.
- Il vaut mieux, dit la lectrice, car elle est bigrement chaude, la
p'tite Corinne.

Goldbite se fit livrer une caisse de glace pilée et assit sa fille
dessus avec interdiction de se lever. Ainsi, le cul au frais, elle
pouvait attendre sans trop de tourments mon retour prochain.

Ce ne fut pas chose aisée de retrouver les bandits car j'ignorais
tout de cette compagnie. Sans doute étaient-ils spécialistes des
ascenseurs hydrauliques car on ne pénètre pas ainsi la grande salle
des vérins de la tour Eiffel. Je déduisis que c'est sans doute à
l'Opéra que j'en trouverais. Les plateaux de la Bastille sont
actionnés, eux aussi, par ces sortes de machines. Bien m'en prit. Je
me présentai à l'accueil.
- Bonjour, je suis le héros nouveau qui vient d'arriver.
- Patron, c'est le ténor, je le laisse entrer ?
Coup de chance, le ténor était en retard. Aïda avait commencé, mais
nul ne savait où se trouvait Radamès. Son grand air semblait prêt à
tourner en jus de boudin. Je pris le rôle sur-le-champ, avec juste un
peu de fond de teint. Ne suis-je pas un héros ? J'entamai mon air au
bon moment, déguisé en général égyptien, même pas inquiet de louper
une note, que je loupai, mais nul ne s'en formalisa, vu que je suis
un héros. Je sais qu'ensuite le Monde titra : " Tancrède Baratin,
ténor respectueux de la partition ". Mais Baratin, c'est pas moi,
c'est l'autre qui n'était pas là. C'est ainsi que je devins héros à
l'Opéra, mais personne n'en sut rien. N'empêche que j'étais dans la
place et je n'avais pas oublié ma mission : chasser les méchants.

Je pensai à la fille à Goldbite, trouvai Aïda (1) dans sa prison, la
délivrai, chantai le final, fis arrêter le traître et ses complices ;
et remerciai le public chaleureusement. C'est ce qui est bien, à
l'Opéra : tout est possible au mépris de la vraisemblance. Nous
partîmes, Aïda et moi, dans sa loge où elle me remercia en artiste
consommée. Les sopranos ont la gorge profonde et, j'avoue, j'en
profitai.
Aussitôt prévenu de l'arrestation des criminels, ...
- Quoi, quoi, j'ai rien compris (aïe, c'est la lectrice, encore),
quand est-ce qu'ils ont été arrêtés, les méchants, hein ?
- Au quatrième acte, patate, on a changé la fin de l'opéra. Au lieu
qu'ils meurent tous, on a fait un happy end. T'as qu'à lire le
journal.
Je disais : aussitôt prévenu de l'arrestation des criminels, le
banquier Goldbite me fit ouvrir trois comptes : au Liechtenstein, au
Luxembourg et en Suisse. J'ai une prédilection pour celui du
Luxembourg. J'aime ces paysages vallonnés qui me rappellent les
courbes de ma bien-aimée Corinne. Tandis que les montagnes, en
Suisse, sont trop pointues ; et le Liechtenstein, je ne sais pas le
prononcer. Mais je suis un héros. Ne pas oublier. Je la libérai de
son carcan de glace et elle m'offrit son cul tout frais. J'en abusai
pour son plus grand bonheur, et je la rendis à son père car elle
aurait pris froid, sans ça. Qui n'a pas connu le sexe sur un lit de
glace n'a rien connu. Les héros ne font pas l'amour comme tout le
monde. Mais je suis un héros et je ne m'en lasse pas.

Rien n'y fait, je ne tiens pas en place, le sang me bout et le
présent de l'indicatif s'impose à moi. Le compte suisse, je m'en sers
pour acheter un parti, et me lance dans la politique. Me voici
bientôt député. Je mets le bazar à l'Assemblée et grâce au compte du
Liechtenstein, je fais voter la libéralisation du cannabis. Ainsi je
deviens un héros populaire que les foules de jeunes portent en
triomphe de la Concorde à la République. C'est fête dans toutes les
rues et la foule en liesse me remercie. Paris s'emplit d'une douce
fumée. Je suis un héros. Zaïde et Alzira, mes deux beurettes de
voisines, sont là et se languissent de moi. Je profite de la
confusion pour disparaître et rentrer à la maison. Elles ont beaucoup
fumé, et pas que de la moquette, et sont déjà bien loin.

 

 

- 2 -

Un héros qui dort, ça dort sérieux. Il paraît que j'ai ronflé très
fort.
- Oui.
- Qui c'est qui parle, là ?
- C'est la lectrice, pardon.
- Flûte ! Pouviez pas attendre, non ? Je bande encore !
- Mmmm...
Trois jours.
- Quoi, trois jours ?
- Trois jours j'ai ronflé. Taisez-vous, lisez. Il y en a marre, quoi.
- Oui, et ?
Et même que madame Michu, inquiète, a appelé les pompiers. Même qu'en
trois jours ils n'ont rien trouvé. On a bien le droit de ronfler,
quand même.
- Vous avez une belle érection, jeune homme. Je vous sucerais bien.
- Pas question. Vous n'êtes pas dans l'histoire. Lisez, c'est tout.

Puis Goldbite m'a appelé. Il avait besoin de moi tout de suite. Il
doit me croire son employé. Mais, je suis un héros, moi, pas un
employé. J'ai pas eu le choix, l'hélicoptère m'attendait déjà. Je me
suis brossé les dents et ai laissé les deux soeurettes ranger la
maison. Elles dormaient encore.

L'hélico, c'est super. On a survolé Paris, Londres, et Knokke-le-
Zoute. Puis on est revenus, parce que Goldbite, eh bien, il habite à
Paris. Il a un studio dans le quinzième arrondissement. Là, il
gardait sa fille. Dans quel état elle était, la pauvre ! Elle avait
les flammes qui lui sortaient par le derrière. Je lui ai dit de bien
l'attacher, solidement, à la rambarde de l'escalier. Elle a fondu. La
rambarde, bien sûr.
- Corinne, j'ai dit, t'as le cul trop chaud. Tu fais fondre la glace.
Il y a de l'eau partout. Faut que je te nique un peu, mais j'ai peur
de me brûler.
- T'as peur de rien, Polo, t'es un héros !
Ah, Corinne, c'est vraiment le repos du guerrier, cette fille. Je
l'ai enculée, elle ligotée à l'escalier, et puis, ç'a mieux été. On a
pu la détacher. Je l'ai niquée devant, derrière encore, par la bouche
et par en bas. Ça a chauffé dans les greniers. Je voyais bien que
Goldbite aussi, était excité. Je me suis demandé s'il ne le faisait
pas exprès. Est-ce qu'il ne serait pas en train de me manipuler ? Et
si ce n'était pas sa fille ? C'est peut-être un robot-marie ? Ça a
chauffé si fort qu'il en a poussé des palmiers. Oui, à Paris, près de
la tour Eiffel. C'était nouveau. Avec Goldbite, on a ouvert un
safari. Ça a fait un peu d'argent. C'est Corinne qui faisait le
dragon, avec ses fesses. Et puis, les touristes de la tour Eiffel,
ils la connaissaient déjà. Ils l'avaient déjà vue, ils nous ont fait
la pub.

Le journal a titré : " Tancrèdo Baratin, héros du désert ". Mais
Tancrèdo Baratin, ce n'est pas moi, putain !
- Ben si.
- Pardon ?
- Ben si, c'est toi.
- Qui parle ? j'ai dit.
- L'auteur.
- Ah, bon. Et je dois faire comme tu dis ?
- T'es pas obligé, mais, l'histoire, c'est moi qui l'écris.
- Et moi, a dit la lectrice, alors je sers à quoi ?
- Attends, la belle, je vais t'expliquer... Chaque chose en son
temps, et tu seras bien niquée.
Elle, béate :
- C'est vrai, Monsieur, que vous êtes écrivain ?
- Oui.
À la petite cuiller, la lectrice. Il l'emmène avec lui.
Ouf, ils sont partis. Bon débarras. La vie de héros, ce n'est pas de
la tarte !

Finalement, c'était triste, le studio de Goldbite, tout seul, au
milieu du désert. Rien que des dunes et des palmiers. Et les
dromadaires, et les touristes ! Goldbite a dû clôturer. Il fallait
agir, je ne pouvais pas laisser Corinne, comme ça, indéfiniment, au
milieu des sables, en plein soleil, sur des pains de glace. En plein
désert, ça ne faisait pas sérieux. Et puis, le temps a passé, et je
l'aurais bien niquée, mais pas en public. La lectrice, elle devait
s'en donner à coeur joie, à cette heure-ci, mais, du coup, je n'avais
plus de lectorat. J'ai sonné la fin de l'entr'acte. Et je suis
reparti.

 

 

- 3 -

Au deuxième acte, j'étais aux Champs-Élysées. Demandez pas pourquoi,
c'est l'auteur qui veut ça. Moi, j'obéis. J'ai pas le choix, qu'il
m'a dit. Si je n'obéis pas, il n'écrit pas.

" Tu vas là où il y a des gens ", qu'il m'a dit. Là, il y en a.
Plein, mais personne ne savait que j'étais un héros. C'est simple,
personne ne m'a reconnu. J'ai regardé autour de moi, les gens
marchaient dans toutes les directions et les pickpockets les
délestaient de leurs téléphones et de leurs porte-monnaie. J'ai pensé
qu'avec un peu de chance, je pourrais montrer mon héroïsme. Un roi du
pétrole était justement attablé pour prendre le café, entouré de sa
nombreuse famille. J'ai attendu un petit peu et, lorsqu'il a voulu
payer, évidemment, on lui avait chouravé son larfeuille. Avec sa
suite, il était cinquante. Une vraie smala. J'ai fait un chèque, sur
le compte au Luxembourg. C'est mon préféré. Je l'ai dit ? En plus, il
est en euros, c'est plus facile. Le roi du pétrole m'a bien remercié.
Je lui ai demandé son téléphone portable, qu'il avait encore, et j'ai
appelé la police. Et elle a vite arrêté les coupables qui,
heureusement, n'avaient pas tout dépensé. Ces braves garçons
n'avaient jamais vu de billets de cinq cents et ils ont cru que
c'était du papier tue-mouche. Ils étaient très déçus, et encore plus
lorsqu'ils sont montés dans le camion. Le roi du pétrole a voulu me
donner sa fille à marier, et je n'ai pas dit non. J'avais bien envie
de l'essayer. Nous nous sommes aussitôt rendus à Chatt-el-Bazaâr où
il a son palais et là, pauvre de moi, ça ne s'est pas passé comme je
pensais. Ils ont voulu me marier d'abord, et que j'essaie la
princesse après. J'ai pris mes jambes à mon cou, mais tout autour
c'était le désert ; vous pensez, en Arabie ! J'ai tenté de me
rappeler par où était la tour Eiffel. Elle est rive gauche, la tour
Eiffel, mais allez savoir où est la gauche dans le désert arabe, hein  ?

Tout est écrit à l'envers. J'ai donc loué un chameau, et je suis
parti. Mais très vite Corinne est arrivée, tout ébouriffée, et
rouspétant que je la délaissais.
- Mais qu'est-ce que tu fais là, à dix kilomètres d'El-Bazaâr ? lui
ai-je demandé.
- J'ai le feu au cul, mon grand, et nique-moi d'abord ou t'es pas un
héros.
Elle avait raison : je me suis exécuté, et tous les deux, on a senti
bon le sable chaud. Mais Dieu que ça gratte. Le problème, c'est
qu'avec son derrière allumé, elle a mis le feu aux puits de pétrole.
Mon ami le roi a été furieux, il est arrivé en panique, et toute sa
sainte famille aussi. On a tous soufflé très fort, mais ça n'a pas
marché. Alors, j'ai eu une idée. J'ai appelé Goldbite qui est arrivé,
armé d'une cargaison de pains de glace et il a tout congelé. Le roi
et lui ont trinqué à la gloire de l'amitié judéo-arabe, éternelle et
conviviale. Ç'a été la paix au Proche-Orient. Pendant dix minutes.
J'ai été acclamé comme un héros. J'adore ça, je ne suis plus du tout
modeste.
- J'l'avais dit !
- Qui c'est, ça qui cause, là ? a dit le roi
- C'est la lectrice, vous inquiétez pas.
- Elle n'a pas de visa.
- Bah, elle n'existe pas vraiment. Elle est, comme on dirait, dans un
autre monde. Vous inquiétez pas.

Puis j'ai regardé la lectrice droit au fond des yeux. Et j'ai dit :
- Mademoiselle, si vous ne me lâchez pas les baskets, je le dis à
l'auteur !
- Ha ! qu'elle a répondu.
Et puis elle a eu peur. C'est que je suis un héros, moi. Ça l'a
impressionnée.

Mon ami le roi a reçu Corinne comme un roi. Il l'a confiée au harem,
pour qu'on la nettoie un peu, et nous a invités tous à dîner. C'était
délicieux et j'ai bien mangé. Il y avait des nuggets et du ketchup.
Mon plat préféré. Corinne est arrivée toute parfumée, vêtue d'une
robe dorée de houri à papa, et c'est la première fois, je dois dire,
qu'on ne la voyait pas le cul à l'air. Ça faisait bizarre. On est
rentrés en taxi, qu'on a partagé avec Goldbite qui était trop beurré
pour conduire. Je crois quand même avoir remarqué qu'il tripotait sa
fille dans le taxi.

À la maison, je lui ai remis le cul au frais. Il était temps. Ça
recommençait à bouillonner. La mouille qui bouillonne, ça sent très
fort. C'était gênant, pour le chauffeur. Bon, elle voulait encore
niquer. Je lui ai dit :
- Juste une fois, Corinne, regarde, je suis tout carbonisé et le
sable du désert m'a usé. Ce n'est plus un gland mais un plat de
nouilles.

On n'a niqué qu'une fois, mais ç'a duré trois jours. Madame Michu a
appelé les pompiers, mais Zaïde a fait diversion et je crois qu'elle
a profité de l'escadron. Faudra que je songe à la niquer. Elle est
tout de même très jolie, Corinne, quand elle sommeille. Mais ça ne
dure pas longtemps et les draps soudain se mettent à fumer. Là, je
l'ai mise au congélo. Ça va durer un moment.

- Ça va, la lectrice ?
Pas de réponse. Mais pourquoi ne lit-elle pas ?

- Allo ? Oui ? C'est qui ?
- .... .... ....
-Ah, oui... bien sûr... oui... Tout'd'suite, j'arrive.
C'est le président. Il veut me voir (c'est un classique, celle-là. Il
se fiche de moi, l'auteur. Il n'explique rien, je dois tout
improviser).
Il m'a invité à déjeuner. On va à Bagatelle. Il y aura le président,
mais pas Corinne. C'est un bel homme, le président, mais il a un
problème. Avec tout le sable qui recouvre le quinzième, on ne circule
plus très bien et deux de ses ministères sont ensevelis, avec les
gens dessous. Ça l'embête.
Je lui dis : c'est pas compliqué, mon bonhomme, le sable, il n'y a
qu'à le retirer. Il n'y aura qu'à en laisser un peu pour les enfants
des touristes. Autour de la tour Eiffel, ce sera du meilleur effet.
Aussitôt dit, aussitôt fait et bientôt, je peux, d'un signe de la
main, indiquer à l'autobus qu'il peut passer. Ce sont les concierges
qui sont contentes et me portent en triomphe. Tout ce sable les
oblige à creuser des tunnels. Ça n'a pas de bon sens, pour elles.
Même madame Michu est là, avec ses trois nouveaux chiens, qui
commencent aussitôt à faire dans tous les coins.

Je me sens soudain de trop, mais, ça tombe bien, c'est au zoo de
Vincennes qu'on m'attend. C'est le zébu du zoo qui accourt en
zigzaguant. Il me cherchait partout. Je prends congé du président, et
raccompagne la brave bête qui braie, braille ou barrit, je ne sais,
mais je ne comprends rien à ce qu'il dit. N'empêche qu'en dix minutes
nous y sommes rendus et là, je vois le drame : un mystérieux avion-
fusée fonce droit sur le rocher. Mais pas trop vite, en fait, car on
a tout le temps de s'approcher.

Mon sang ne fait qu'un tour et je sens sourdre en moi la puissante
force de l'héroïsme. C'est comme un feu qui coule dans mes veines et
je sens que je bande comme une bête (non, mais, ça va, l'auteur, t'es
en rut ? Je ne bande pas tout le temps, l'auteur. T'as jamais lu de
bandes dessinées ? Un héros, ça ne pense pas qu'à baiser). Je fonce
vers le rocher. L'ascenseur est en panne et l'escalier en réfection.
Qu'à cela ne tienne, j'escalade par le côté des singes. Ils rigolent,
les sagouins, mais ils ne savent pas ce qui les menace. Moi non plus,
d'ailleurs. Lorsque j'arrive en haut, j'y trouve... Zaïde et Alzira.
- Mais... qu'est-ce que vous faites ici ?
- Ben, mon grand, on travaille au zoo, nous !
- Ben oui, qu'est-ce que tu crois, faut bien qu'on gagne notre vie !
- Bon, vous avez vu ce qui arrive ? Retirez vos culottes, j'ai une
idée.
Alors, là, je ne vous dis pas ! C'était une fusée de manège, avec,
dedans, Madame Michu et ses trois chiens ! Rien que ça ! Et à fond la
caisse, droit sur le rocher des singes ! Quelle rigolade !
J'ai enculé Zaïde à sec et planté trois doigts dans Alzira, comme ça,
sans prévenir. Elles ont braillé, je ne vous dis pas, en choeur, à
l'unisson et a capella. Eh bien, vous me croyez ou pas, ç'a marché :
le souffle a arrêté la fusée. Tout net. Et madame Michu et ses trois
chiens ont atterri dans la piscine à flamants.

Puis comme elles étaient gentilles et qu'elles avaient sauvé les
singes, je les ai niquées gentiment, les deux soeurs, l'une après
l'autre, sur la rambarde, sans mégoter sur la qualité. On entendait
le lion braire, et le tigre aussi (eh, l'auteur, ça brait pas, un
lion. Déconne pas, je vais passer pour un naze !) et les deux soeurs
de soupirer à qui mieux mieux. Quelle symphonie ! Hélas, il a fallu
redescendre, la télé était arrivée. J'ai chanté pour elle l'air de
Radamès, et je suis parti en courant : Corinne accourait, et,
franchement, je n'avais pas envie d'une scène de ménage.
D'ailleurs, c'est madame Michu qui l'a accueillie, la Corinne,
lorsqu'elle est arrivée au zoo. Son troisième chien sortait juste du
bassin à flamants, et ils sentaient tous très fort la crevette. Eh
bien, vous savez quoi ? Elles ont copiné, madame Michu et Corinne.
Mais moi, j'étais déjà au loin, appelé par mon héroïsme à de
nouvelles aventures.

À peine étais-je sorti du bois qu'une somptueuse limousine s'avança.
Et dedans, savez-vous qui il y avait ? La reine d'Angleterre elle-
même, telle qu'en sa grandiose personne elle se déplace. Bravo, bravo
qu'elle dit, et se répète.
- Majesté, je n'en crois pas mes yeux.
- Je vous invite à Londres, mon ami. N'insistez pas, je suis la reine
et je le veux.
- Majesté, je parle à peine anglais !
- Honni soit qui mal y pense. Vous irez en Écosse chasser le monstre
du Loch Ness. Il affole les touristes et sa forme allongée est
obscène. Voici vos billets. Vous prendrez l'express de midi trente,
demain.

Elle exagère, la reine. Les trains anglais sont très mauvais. Mais je
ne lui ai pas dit. Pour m'aider dans mes faux frais, elle m'a ouvert
un compte à la City. Ça me fait une nouvelle carte de crédit. Puis
elle est repartie en Angleterre, et moi je suis rentré chez moi. Je
n'irai pas. Il ne m'a rien fait, le monstre du Loch Ness. Pauvre
bête. On ne m'aura pas comme ça.

Le soir, j'avais télé.

Me voici sur le plateau. La télé aime les héros et, ça tombe bien,

j'en suis un. Le public applaudit. Le présentateur aussi.

- Et j'ai, dit-il, le privilège et la joie d'accueillir notre héros

national, qui vient de quitter le zoo de Vincennes, et qui, demain

partira pour l'Angleterre chasser le monstre du Loch Ness !

- Il n'ira pas.

- Tiens, vous êtes aussi ventriloque ?

- Non, c'est la lectrice qui intervient, parfois. Elle est comme ça.

- Invitons-la, alors. Bonjour, madame !

- Je veux dire, qu'elle dit, la lectrice : monsieur de la télévision,

j'ai regardé plus loin, l'histoire. Eh bien, il ne va pas en

Angleterre, je vous le dis tout net. Ce n'est pas écrit.

- De toute façon, je ne voulais pas.

- Bon, alors, vous faites quoi ? me demande le saltimbanque.

Je le tourne vers elle.

- Eh, la lectrice, lui dis-je, vous lisez quoi, au prochain chapitre  ?

Qu'est-ce que je dois répondre, ici, moi ?

Silence. Quelle sauvageonne, celle-là ! Ça tombe bien car soudain,

c'est Corinne qui débarque dans le studio et, soudain, la température

monte d'un cran.

- Ah ! Voici Corinne, dit la lectrice, qui daigne enfin lever le nez
du livre. On applaudit, s'il vous plaît.
Et le public applaudit.

Et voilà, les projecteurs sont sur moi, et Corinne se love contre
moi. Je suis tout émoustillé, de passer ainsi à la télé. Le fond de
teint me coule dans le dos, et je me sens vraiment un héros.
J'explique que, tout de même, je suis engagé à aller en Angleterre.
Qu'à cela ne tienne, chantent en choeur Zaïde et Alzira qui sont au
premier rang :

- Notre héros, notre héros,
Nous irons pour toi, là-haut,
En Écosse tuer le monstre, hé ho !
Et sous les kilts des Écossés,
Tâter les couilles et les sucer!

Ça fait un bel effet dans l'émission. Le thermomètre à audimat a
explosé. Le président nous téléphone et nous félicite.
- Vous êtes la gloire de la télévision !
Ça me fait chaud au coeur. On parlera de moi demain dans les journaux.

Partez mes belles, je reste avec Corinne qui fait un très bon repos
du guerrier. Et pour marquer le coup, j'improvise à la télé un long
poème suranné qui endort tout le monde. Corinne et moi filons à
l'anglaise. Je la mets dans un taxi, en route pour la rue de la
Glacière où je lui ai acheté un petit pied-à-terre. Elle s'y trouvera
au frais pendant que j'irai de par le monde réaliser quelques
exploits car, tout de même, je trouve que je me laisse aller.

- Oui, et le lectorat commence à se lasser.
- Oh, vous, lisez. On ne vous demande pas de commenter.

Je saute sur mon vélo et pars aussi sec pour Moscou où l'on m'a
averti que le rouble se dévaluait. Je réorganise l'économie et
favorise la production. On me demande d'être le président. Je refuse
car je ne parle pas russe. Puis, à Oulan-Bator, je montre comment on
fait les crêpes bretonnes, ce qui est bien utile, pour passer
l'hiver. À Pékin j'arrête des contrebandiers ...

 

 

 

...

 

 

 

...

 

 

 

...

 

 

 

Comment ça, il y a un blanc, là ? Dans le récit ?

 

 

...

 

 

Hé, l'auteur, vous dormez ?

 

 

...

 

 

C'est quoi, ça ? Et mon tour du monde, héroïque et hardi, vous ne le
racontez pas ?

 

 

...

 

 

 

...

 

 

 

...

 

 

- 18 -

 

 

 

...

 

 

 

...

 

 

 

- Pardon, c'est moi, la lectrice. J'ai tourné les pages un peu vite.
Je vous ai dit, le lectorat commence à se lasser.
- Hein ? Et mes aventures en Australie, sur la banquise, en Thaïlande
et au Pipicacatepetl (2) ?

Et le Zimbaboué et la Nouvelle-Guinée ? Et mon escalade de
l'Himalaya, et ma traversée du détroit de Béring, alors ? Et quand
j'ai remonté le Congo à pédalo ?

- J'ai sauté. On n'est pas chez Jules Verne, ici. On tourne la page.
À la suite.
- Aucune importance, je continue, je suis un héros pugnace !

 

 

 

...

 

 

 

...

 

 

 

...mais je dois d'urgence trouver des pneus neufs car les miens sont
usés. C'est que mon vélo a bien roulé. Je vais donc à Hong-Kong où,
c'est bien connu, sur le marché, on achète tout. Et là je trouve des
pneus. Aux îles Aléoutiennes, je sauve une colonie de bébés phoques,
et je pose en compagnie d'une grande actrice. À Montréal, je retrouve
Corinne qui me cuisine des pines au lard. C'est un régal. Elle est
venue à ma rencontre, la brave fille. C'est son papa le banquier qui
l'a envoyée. Il veut me voir sans tarder. Si, si, insiste-t-elle, il
faut y aller tout de suite ! Son avion nous attend déjà sur le tarmac
et nous volons la nuit au-dessus de l'océan. Mon vélo est dans la
soute et il a froid. Elle est chaude, comme minette, la Corinne, et
je vois bien qu'elle m'aime vraiment. C'est dur de piloter dans ces
conditions et ça secoue un peu l'avion. À Roissy, papa Goldbite
m'attend.

- Voilà, me dit le financier Goldbite. On m'a volé mon vélo. Il faut
absolument le retrouver.

 

 

- 19 -

Ah, ça, alors, si je me doutais d'une mission pareille; mais
Goldbite, c'est Goldbite et un héros n'a qu'une parole. Et puis, la
fille à Goldbite, c'est de l'or.

- Il est sûrement à Amsterdam, ou à Pékin, dans un endroit où on en a
besoin, ai-je dit, et ajouté : J'emmène Corinne, j'ai une idée.
- C'était un vélo bleu, très cher et très beau.
Je m'en serais douté. Pas le genre à rouler en épave, le papa.
- Avec beaucoup de vitesses, et une sonnette à ressorts. Je ne peux
pas vivre sans, tu comprends, fiston ?
- Oui, oui, ai-je dit.
Et j'ai bien vu qu'il passait la main dans l'absence de culotte de sa
fille. J'ai dit :
- Monsieur Goldbite, je dois emmener Corinne. Elle seule pourra
reconnaître votre vélo. Et puis, j'ai une idée pour le pister.
- Oui, oui, emmène Corinne, mon grand, ça lui changera les idées.
Ça, elle ne pourra jamais. Des idées, elle n'en a qu'une, toujours la
même. Mais c'est une idée que j'aime.

- Corinne, on cherche le vélo. Tu prends le tien, et tu t'assois à
cru. Retrousse ta jupe. Ensuite, tu laisses chauffer. Quand ça sent
le cuir cramé, c'est qu'on pédale du bon côté.

Nous avons traversé la Picardie, ses châteaux et ses champs de
betteraves. Et Corinne a si bien chauffé, et a eu l'esprit si
échauffé, et sa selle a si bien cramé, que le vélo, nous l'avons
retrouvé, à Knokke-le-Zoute, à un poteau. On l'avait attaché. J'ai
pris une chambre à l'hôtel à côté et j'ai observé. Un quidam est venu
le détacher, mais j'avais mis un gros cadenas et il est resté en
plan, à regarder le vélo volé, bêtement.

Voici comment on l'a piégé : sur la rambarde du balcon de l'hôtel,
j'ai lutiné la miss, et elle a tellement beuglé que le type, en bas,
il en est resté scotché. Mais bon, me suis-je dis entre deux orgasmes
d'elle, comment faire pour l'attraper ? Eh bien, vous ne me croirez
pas, mais, si, c'est Zaïde et Alzira qui sont arrivées, accompagnées
du monstre du Loch Ness. Si, si. Il était bien sympa, Nessie, et de
forme très allongée (" On en a bien profité ", ont-elles dit). Comme
c'était un gentil garçon, le voleur de bicyclette, il n'a pas
insisté. Il a eu peur, il a donné sa clé, il a juré en flamand, il
est parti dare-dare et se retournant tout le temps, et en jurant
encore, et toujours en flamand. ç'a fait drôle au monstre, ces jurons
en flamand, il n'avait pas l'habitude, c'est un très gentil monstre,
et très timide, qui, d'habitude, se cache tout le temps. Il a eu un
hoquet terrible et, pour le calmer, s'est jeté à l'eau, là, sur la
plage de Knokke-le-Zoute, au grand effroi des vacanciers. Et toute
l'eau de la mer du Nord, eh bien, il l'a avalée. Il n'en est rien
resté, que des mares au fond et des pétroliers chavirés. C'était
dégoûtant. J'ai pensé que la reine d'Angleterre ne serait pas
contente, et que, la mer du Nord, nous n'aurions pas dû la vider.

- Venez tous donc, ai-je dit à la compagnie. J'ai une idée, on va
faire du vélo au Groënland.

 

 

- 19 -

Ah, le Groënland ! Qui ne rêverait du Groënland ? Ça, c'est un pays
pour un héros ! Quelle idée j'ai eue. J'ai dit aux filles : prenez le
monstre, passez devant, trouvez un hôtel. J'arrive demain. C'est qu'à
Knokke-le-Zoute, j'ai bien vu que la marchande de frites était jolie.
Je l'ai séduite, et je l'ai câlinée. Et j'ai mis ma grosse bite dans
sa moule dorée. C'était bon comme tout et j'espère que Corinne ne
l'aura pas su trop vite.

Puis j'ai téléphoné à Goldbite :
- Hé, Joe, ton vélo est à Knokke. C'est à Knokke qu'est ton vélo.
Devant le stand de frites, et prends bien soin, Goldbite, de ma
petite marchande de frites. Elle a la clé. Demande-lui, et
décadenasse ton destrier.
- Merci, merci, qu'il a dit, j'arrive, et j'enrichirai ta petite
marchande de frites.
Et c'est comme si j'entendais déjà le ronron de la Rolls.

Je sais qu'il l'a fait. Il est réglo, le banquier Goldbite. Et
Marieke-Marieke, elle peut faire mieux que vendre des frites, surtout
à Knokke-le-Zoute. Je suis sûr qu'il a quelque chose pour elle dans
sa banque en Suisse.

En attendant Goldbite, Marieke-Marieke est repartie vendre ses
frites, je vous décris l'ambiance, à Knokke-le-Zoute, avec la mer du
Nord à moitié vide, à cause du monstre. C'était toute une armada de
pétroliers, de porte-containers et de ferry-boats coulés, la mer du
Nord, en face de Knokke. On n'aurait de toute façon jamais pu
traverser à pied. On se serait perdu dans les épaves. Mais le pire,
c'était que tous les poissons échoués étaient pollués et les
touristes venus d'Anvers et de Bruxelles pour les pêcher tombaient
aussi atrocement malades de l'intestin. Après quoi, il fallait
considérer l'état du système belge de santé qui... Il fallait agir.
La Belgique aussi avait grand besoin d'un héros. Heureusement,
j'étais là.

- Ça tire en longueur, le dix-neuf ! dit la lectrice.
- Ça va, j'y vais, ai-je répondu. D'ailleurs, c'est le deuxième dix-
neuf.
- Ouais ! Accélère, héros de mes deux ! On n'est pas chez Zola, ici
! Faut que ça dépote !
(Un ange passe. Un taxi aussi.)
- Taxi ! Au Groënland, s'il vous plaît.

Il m'y a mené tout droit. Même pas eu à demander son chemin. À midi,
nous étions au cap Farewell. Là se trouvaient Corinne, Zaïde et
Alzira, et Nessie qui suçait la glace. Au large passaient les
baleines, et Corinne contemplait, émue, les icebergs.

J'ai vérifié les vélos, mais ils n'avaient guère souffert du voyage,
et la Corinne est partie en tête, pour faire fondre la glace. ç'a
fait une belle tranchée dans le glacier. Tout droit qu'on a roulé,
plein nord, suivis par les Esquimaux qui venaient juste de s'acheter
des autos.

C'est ainsi que nous avons traversé le Groënland, dans un grand envol
de nuées bleues, et la glace fumant partout. La glace fondue coulait
derrière nous, vers l'océan dont le niveau montait imperturbablement.
Des blocs de glace géants se détachaient à chaque instant, et sous le
feu ardent de Corinne (que je n'avais pas touchée depuis Knokke-le-
Zoute, rappelez-vous, c'est peu dire qu'elle a les boules), le
glacier central du Groënland fonda.
- Fondu, dit la lectrice. Il y a une coquille.
- Non, pas " fondu ", c'est " fondit ", mais ça ne rime pas, alors je
dis Fonda, comme Jane. D'ailleurs, je suis Tarzan.
Corinne et moi, et les autres, nous transformâmes cette île aride en
vertes prairies. Et plus nous tracions la route, Corinne toujours en
tête, Nessie au cul et les deux soeurs à la suite, plus le Groënland
s'élevait au-dessus des eaux tant et si bien que, bientôt, à
l'extrémité nord, près de Thulé, nous étions bien hauts en altitude
et qu'il faisait bien froid. Et savez-vous ce qu'il advint ? Le
niveau monta et l'océan déborda. Mais ce ne fut pas grave du tout.
L'océan se déversa dans la mer du Nord et la remplit. Tout fut bien
qui finit bien et je devins ainsi un héros en Belgique. Comme quoi,
les solutions les plus simples sont encore les meilleures.
Au Groënland, nous n'avons pas chômé. À Thulé, c'était la fête.
Nessie, le monstre du Loch Ness était tout content : il ne faisait
peur à personne, là-bas. Et il faut dire aussi que le canal Davis,
ç'a une autre allure que le Loch Ness. Là, tous les journalistes sont
arrivés et la conférence de presse a été grandiose. Faudra quand même
que le monde entier sache que je suis un héros.

 

 

- 20 -

LA LECTRICE : Tu sais, Polo, un héros, logiquement, ça doit finir par
en baver, à un moment.
MOI : Ah, tiens, vous êtes là, vous ! Je vous avais oubliée.
LA LECTRICE : Je vois ça. On vit sa vie sans se soucier qu'on est
rien qu'un personnage de roman. Monsieur se fait entrepreneur de
travaux publics, et s'imagine que le public aime ça.
MOI : Ben oui, quoi...
LA LECTRICE : Mon garçon, écoute. Le public, c'est moi, et il n'est
pas content. Il veut du drame, de l'action, de l'émotion. Là, bon, de
l'action, il y en a, mais on n'y croit pas. Mais du drame, de
l'émotion, des sentiments... du suspense... Rien, nada !
MOI : Moi, je n'aime pas. Je veux de la gloire et de la réussite.
L'AUTEUR : Elle n'a pas tort, la lectrice. Ça manque de drame, tes
aventures.
MOI : Mais c'est un traquenard ! Voila-t'y pas que vous vous y mettez
à deux ! Mais ce n'est pas moi qui les écris, mes aventures ! Je ne
suis que le narrateur !
CORINNE, qui passait par là : Allons, mon Loulou, t'es un héros,
n'oublie pas. Tu triomphes toujours. Mmmm... Surtout de moi...
L'AUTEUR : Ça va, Coco, va niquer ailleurs, s'il te plaît. Toi, le
héros, j'irais bien te plonger dans la merde, un peu, pour voir
comment tu t'en tirerais...
MOI : Ah, non ! Je ne veux pas !
LA LECTRICE : C'est vrai, quoi, Polo ! Un héros, ça doit souffrir !
MOI : Mais ?...
L'AUTEUR (à la lectrice) : Bon, d'accord, promis, ça va changer.
LA LECTRICE : Chouette !
MOI : Non !
LA LECTRICE : Oui !
MOI : Ça va pas la tête, vous deux ? Mais vous êtes dangereux ! Maman
!
L'AUTEUR : Le problème du héros, c'est qu'il est pris dans un
embouteillage à la frontière russe, à proximité du Groënland, vers le
pôle Nord. Là, il est sur un iceberg, au pôle Nord, en équilibre
instable et il répond aux journalistes. D'ailleurs CNN est déjà sur
place.
CNN : Mr Heroe, How do you do to trace une route à travers the
Groënland iceshelf ?
MOI : Itself, yes, myself and Corinne. It is avec mon monstre of the
Loch Ness personnal à moi & my friend Corinne, very hot French nana.
You connais not ça aux U.S.A. Sorry.
CNN : Oh, Yes, Mlle Corinne of the Goldbite, is not she ? The fille
of the very famous banquier Goldbite, propriétaire of a famous vélo ?
CORINNE : Yes, Mystoeur, I am the fameuse Corinne Goldbite, du nom de
mon papa. And, look here everybody, this is mon héros favori, super
méga héro, Jean-Patrick !
MOI (à Corinne) : Heu... Corinnette chérie, dans cette histoire, je
ne m'appelle pas Jean-Patrick.
CORINNE : Oh, yes, Mr CNN, I apollongénisse, Jean-Patrick, to-day, is
not Jean-Patrick, il est my super heroe ! A real French Heroe !
CNN : And, yes, ladies and gentlemen, you can see we all have a lot
of fun here in the North Pole, not far from the Russian border
where...
MOI (très fort) : Attention, Mr CNN, les Russes débarquent, planquez
vos couilles, v'là les Lada !

Mais je commence à me les geler, moi, les couilles, car Corinne est
repartie et le climat s'est soudain rafraîchi. C'est le grand froid
de la Russie qui envahit le pôle. Au carrefour de Thulé, sur la route
de Tiksi, c'est l'embouteillage monstre. Il arrive des Russes de tous
les côtés, et même des qui reviennent du cap Farewell, car personne
ne leur avait dit que, là-bas, il y avait la mer, mais pas les
cocotiers ! Et pendant ce temps arrivent les Lada, pleines de Russes
qui veulent acheter de la vodka. Il faut faire quelque chose.

- Nessie, peux-tu s'il te plaît faire passer tous ces Russes au
Canada ? Ça leur rendrait service et à nous aussi. Comme c'est un
monstre attachant, Nessie fait " Bouh ! " au nez des Russes qui,
terrifiés, repartent plein pot, pied au plancher, vers leur cabane au
Canada.
Mais pas moi. J'ai un iceberg qui m'est tombé sur le pied. Et je ne
parviens pas à m'en débarrasser. Me voici tout ankylosé. Pas moyen
même de conduire une Lada. Et Nessie qui est au Canada ! Et les
épaves de Lada qu'on voit partout ! C'est un désastre. Eh, l'auteur,
tu te moques, on dirait. C'est un pataquès, cette histoire ! Qu'est-
ce que je fais, là, moi ? Sans compter que la banquise a fondu, et la
mer a encore monté...

Oh, et puis, je m'en irais bien d'ici. Le fast-food de Thulé, j'en ai
soupé. Menu à la graisse de phoque matin, midi et soir. Ça commence à
faire.
C'est pas terrible, ce chapitre.
- Dites, l'auteur, je n'ai plus du tout l'air d'un héros !

- Résumé des épisodes précédents -

L'AUTEUR : Le héros se plaint de son sort. C'est une poule mouillée,
mais il marne depuis longtemps au Groënland. Je me demande si l'idée
était bonne.

 

 

- Résumé de la situation -

LE HÉROS (MOI) : Le Groënland est dévasté. Traversé de part en part
et du Sud au Nord par une autoroute, très belle et très
spectaculaire, il déborde dans le monde entier. Les Russes ont
débarqué par le pôle Nord, mais me refusent l'entrée. Perché sur un
iceberg, je leur fais la leçon. Et je vous le demande : j'ai l'air de
quoi, là ?

 

 

- Résumé -

Le héros et ses amis font du cyclotourisme au Groënland.

 

 

- 21 -

LA LECTRICE : Ça, je sais, j'ai vu. Merci, j'ai lu. À la suite, s'il
te plaît. Hé, l'auteur, tu nous balances un peu la gomme, qu'on se
marre !
LE HÉROS (MOI) : Hé ! Ho ! Je voudrais bien rentrer à la maison !
L'AUTEUR : Et vous, la lectrice, vous en pensez quoi, du Groënland ?
LA LECTRICE : Rien, je n'ai jamais été, mais c'est bon de le
tourmenter un peu. Un héros doit souffrir.
LE HÉROS (MOI) : Ah, la vache !
LA LECTRICE : Pardon ? C'est moi, la vache ?
LE HÉROS (MOI) : Bah non. Je disais ça comme ça...
LA LECTRICE : Ah, bon. Reprenons. Vous avez, somme toute, cher
Monsieur, une veine de cocu. Ça pourrait être pire.
LE HÉROS (MOI) : Hein ?
LA LECTRICE (à l'auteur) : On pourrait dire, par exemple, qu'il a la
chaude-pisse, que la vendeuse de frites lui aurait filée.
LE HÉROS (MOI) : Ah, mais non !
L'AUTEUR : Bonne idée. Tiens, Tancrède Baratin, alias Jean-Patrick.
Voilà : t'as la chtouille et, justement, envie de pisser. Et t'es au
sommet d'un bloc de glace. Intéressant, non ?
LE HÉROS (MOI) : Putain, vous êtes chiant, l'auteur ! La chaude-
pisse, c'est tout ce que vous avez trouvé ! Mais pourquoi ça ? J'ai
même pas blasphémé !
LA LECTRICE : Va falloir l'annoncer à Corinne, à propos.
LE HÉROS (MOI) : Mais pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?
L'AUTEUR : T'as baisé sans capote. Marieke-Marieke.
LE HÉROS (MOI) : Mais je ne peux pas : j'ai la bite trop grosse pour
les capotes ! C'est que je suis un héros, tout de même...
LA LECTRICE : C'est la vie.
L'AUTEUR : Bon, c'est rien, la chaude-pisse : huit jours
d'antibiotiques. T'aurais pu avoir le sida.
LE HÉROS (MOI) : Elle n'est pas drôle, votre histoire. Je veux
rentrer à la maison.
LA LECTRICE : Dites, l'auteur, vous êtes un affreux macho : selon
vous, c'est la faute à la femme, s'il a la chtouille ! Manquait plus
que ça !
L'AUTEUR : Mais, très chère, c'est vous qui l'avez suggéré !
LA LECTRICE : Vous vous moquez ! Je ne lis plus !
L'AUTEUR : Mais si, mademoiselle, lisez. Vous savez, la chaude-pisse,
par moins trente, au pôle Nord, sur un iceberg, c'est une sacrée
aventure ! Imaginez la tête de Corinne, à cet instant.
LA LECTRICE : mais je m'en bats, de Corinne ! Si vous croyez
m'impressionner, avec votre minette en chaleur !
L'AUTEUR : Minette...
LA LECTRICE : Quoi, " minette " ?
L'AUTEUR : Je n'ai plus d'idée. Pour l'instant. Je vais lire le
journal au café.
MOI : Mademoiselle, vous ne voudriez pas intercéder en ma faveur,
demander à l'auteur que mes aventures redeviennent agréables ? Si
vous lui tailliez une petite pipe, et que vous le lui demandiez, le
plaisir serait partagé, non ? J'ai une idée : vous allez le trouver,
au café, vous dites :
VOUS : L'auteur, j'ai une faveur à vous demander et une à vous
accorder.
LUI : Accordée.
VOUS : Voici : l'une est une pipe, l'autre une guérison.
LUI : Va pour la pipe, mais la guérison, plus tard.

Plus tard :
LA LECTRICE : Vous vous êtes fait avoir, Jean-Patrick : je lui ai
taillé la pipe et vous gardez votre chaude-pisse. C'était bon. Quand
vous serez guéri, je vous en ferai une.
MOI : Et meeeerde !
(La suite est en dialogues à tirets. C'est plus commode, pour une
scène à deux. Et puis, je sens que vous vous habituez.)
- Allez, pleurez pas, Jean-Patrick, vous êtes un héros ; je vous
offre une petite vodka.
- Ah, ça, c'est une idée !
- N'est-ce pas ?
- Et vous en avez, vous, de la vodka ? Elle vient d'où ?
- Je la prends dans le livre, au chapitre suivant, en Russie.
- En Russie ?
- Oui, regardez, Jean-Patrick : le chapitre suivant se passe en
Russie. C'est un chapitre héroïque.
- Mais... je ne l'ai pas encore vécu ! Comment pouvez-vous le lire ?
- Ah, Jean-Patrick, quel tord-boyaux, la vodka !
- Je ne m'appelle pas Jean-Patrick !
- Peu importe. Skål !
- Comment vous l'avez lu ?
- L'auteur l'a écrit, mais vous ne l'avez pas encore vécu. Ainsi va
la vie.
- À vot' santé, la belle !
- À vous, le héros !
- Vous moquez pas, j'ai la chtouille, et envie de pisser !
- À votre envie de pisser !
- Merde ! À votre beauté, lectrice !
- Flatteur, vous ne m'avez jamais vue !
(Ils se disent alors des trucs qui ne s'écrivent pas. Nous reprenons
à cet endroit) :
- Permettez, je place ma tête entre vos jambes...
- Enfin ? Déjà ? Et vos antibiotiques ?
- Oh, en tout bien tout honneur, c'est pour imaginer. Pour la
suite... Corinne...
- Arrêtez, l'Auteur, je suis toute mouillée !
- Mmmm...
- Allez, racontez ! La suite ! La suite !

 

 

- 22 -

La suite ? Le paysage, tout blanc et gelé, et là, sous mes pieds, le
défilé des Lada. Elles vont plein sud ; d'ailleurs, vu du pôle, c'est
partout plein sud. Les Esquimaux sont débordés. Il y a des Russes
partout. Faut que je pisse, aussi.
- Ça, on sait. Vous l'avez déjà dit.
Je sors ma bite, par moins cinquante, et je pisse. Ah, la vache,
c'est à hurler. La chaude-pisse, je l'avais oubliée ! Ça brûle ! Ah !
putain, l'auteur, tu me la payeras, celle-là ! Aïeaïeaïeaïeaïeaïeaïe
! Ça fait mal, ah, oui ! Merde, j'ai glissé ! Hélas, je suis au
sommet d'un iceberg et je me ramasse tout du long, et ça n'arrête
pas, ça glisse, vers le sud qui est en bas ! Vas-y que défilent
hummocks, ice-shelf, glaciers, poste de douane, bureau de police,
kremlins et tchernobyls, je passe tout, et tout du long de la pente,
ça descend vers l'équateur, mais sans se réchauffer. Je suis du
mauvais côté : chez les Russes, face à la colonne de Lada. Mais
pourquoi ne glissent-elles pas, elles ? Mais qu'est-ce qu'il fait,
l'auteur ? Mais pourquoi ça merde, cette histoire-là ? Ce n'est pas
du tout cela que je veux ! Ouilleouilleouille ! Mourmansk, Nikel et
Archangelsk, Dniepopetrovsk, Vladivostok, que sais-je ? Ça n'en finit
pas de glisser ! Mais pourquoi fait-il toujours aussi froid ? Ma
mère, j'ai glissé, pas n'importe où : en Russie. Et j'ai le cul gelé
! Maudit verglas. Hé, l'auteur ! J'en ai marre ! Marre ! Marre !
T'entends, l'auteur ? Marre !
- Oui. J'entends.
Les Russes, pas contents, m'ont mis sur le dos le trafic de Lada, et
me voici au goulag. Quinze ans que j'ai pris. Là, je suis au fond de
la Sibérie à tailler des allumettes avec les dents. C'est moderne, la
Russie. Au moins, il y a de quoi se chauffer. Et ma chaude-pisse ?
Quand je pense que Corinne doit être en train de la refiler à tout
l'Occident, je me dis que j'ai de la chance, quand même. Le fast-food
à la graisse de phoque, c'était lassant !

Bon, le temps passe. Qu'est-ce qu'il fait, l'auteur ? Il ne va pas me
laisser quinze ans ici, quand même ? Je ne suis pas Soljenitsyne !
- L'auteur, sais-tu, il nique la lectrice, en ce moment. Et même que
c'est un bon coup, la lectrice. Et même que, parfois, j'ai envie de
l'appeler Corinne, si tu vois rapport à qui.
- Ouais, l'auteur, d'accord, tu niques Corinne ou la lectrice, mais,
moi, je suis au goulag, là ! Et c'est vraiment pas drôle. Et j'ai la
trique, en plus ! Et puis aussi : ça sent mauvais, ici.
- Ben, fiche-nous la paix, pour le moment, héros de mes deux.

 

 

- 23 -

Pendant que l'auteur fait sa sieste, je ne perds pas mon temps. Je
monte sur un tonneau et chante à la foule des prisonniers :
Monte là-dessus, monte là-dessus
Et tu verras Montmartre ! (3)

Et ça marche, tous les prisonniers montent sur des tonneaux et se
mettent à chanter ! Des tonneaux petits, des gros, et même des carrés
! Et, croyez-moi si vous voulez : nous avons vu Montmartre ! Et sitôt
vu dans quelle direction c'était, nous sommes partis. Iegor et Ievan,
les deux gardiens du goulag nous ont accompagnés : on leur avait
raconté que Pigalle c'était à Montmartre, ce qui est vrai d'ailleurs,
et ils voulaient justement y aller ! Le problème, c'était pour
traverser la Bérézina. Il n'y avait pas de gué et le pont n'était
toujours pas réparé. Eh bien, figurez-vous que ç'a été la surprise :
sur l'autre rive, il y avait Madame Michu et ses trois chiens,
Monsieur Marchand, le docteur Albert et les deux soeurs Belhacem,
toujours jolies et court-vêtues. Alzira se baignait en amont et Zaïde
en aval et les évadés n'ont pas su où donner de la tête. Et Marieke-
Marieke aussi, était là, et dans sa main, elle tenait la bite à
Goldbite, qui n'en pouvait mais. Madame Michu me recherchait pour me
traîner au tribunal, pour l'assassinat de son premier chien. Pour
l'occuper un peu, j'ai tué les trois nouveaux chiens, et j'ai laissé
madame Michu se débrouiller avec les autorités russes. Là, tous les
autres ont applaudi. Et puis, simplement, nous avons pris le bac sur
la Bérézina et sommes rentrés en train.

Et toute notre joyeuse petite bande s'est rendue à Montmartre,
portant Zaïde et Alzira en triomphe car, bonnes filles, elles ont
soulagé tous les prisonniers. Alors nous nous sommes arrêtés un
moment chez moi, pour prendre une douche et, là, miracle, Corinne
faisait des crêpes. Ça tombait bien, tout le monde avait faim.

J'ai dit à Corinne :
- M'amie, allons baiser.
- Oui, mon minou, d'accord, qu'elle a dit.
Eh bien, vous me croirez ou pas, mais dans ma chambre, il y avait
l'auteur et la lectrice, qui finissaient de lire ce récit de mes
aventures, celui-là même que vous avez dans les mains. Et il y avait
des traces de foutre partout. Même que je ne sais plus très bien si
l'auteur, ce n'est pas moi, et la lectrice Corinne, tellement nous
nous ressemblons.

 

FIN

 

 

- Et la chaude-pisse ?
- C'était une blague.
- Ah, bon. Je préfère ça.

 

 

_______________________________
1 Qui est donc Aïda ? Aïda est l'héroïne de l'opéra dont Radamès est
le héros. Elle n'est pas un personnage du roman. Faut pas confondre
avec Corinne.

2 Note de l'auteur : Je n'ai pas retrouvé le nom exact. Veuillez
m'en excuser. Le héros est fatigué ; moi aussi.

3 Chanson de Lucien Boyer (1876-1942)

 

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